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Série "Rjel" de Sadri Khiari

Forces armées VS citoyens: quelle légitime défense?

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“Les ONG ont raison tout comme les syndicats de police ont raison car si la loi est régressive en matière de libertés individuelles, l’agent de sécurité a réellement besoin d’une sécurité et à part le Code pénal, il n’y a pas vraiment d’autre texte qui définit l’autodéfense” déclare Rafik Chelly ancien Secrétaire d’Etat chargé des affaires de sécurité sous le gouvernement Essid (2015-2016).

L’Hexagone, un (contre)-exemple?

A titre d’exemple, en France, le Sénat a assoupli la loi en matière de légitime défense après les incidents en 2016 à Vitry-Châtillon où des agents de police avaient été agressés et leurs voitures incendiées. En France aussi, la légitime défense est garantie par le code pénal pour la police mais renforcée par la nouvelle loi antiterroriste votée en octobre 2017 qui va remplacer celle sur l’état d’urgence (voire le pérenniser d’où l’inquiétude des organisations internationales dont l’ONU). Le problème reste qu’en Tunisie, les abus de la police sont supérieurs aux agressions envers les policiers et la crainte d’un retour en arrière où la police a tous les droits, pèse sur le débat. Il ne faut pas oublier qu’en France aussi, tout renforcement de l’arsenal juridique répressif et des pouvoirs de la police crée la polémique. En effet, les policiers avaient exigé d’avoir le droit de porter leur arme même quand ils ont terminé leur service après les attentats du 13 novembre 2015 et l’assassinat d’un policier et de sa compagne à Magnanville en banlieue française.

Le débat français est intéressant à suivre, car comme en Tunisie, les syndicats de police sont souvent derrière ces demandes, et le débat se retrouve souvent aussi instrumentalisé politiquement. Reste à savoir comment ajuster le débat en Tunisie par rapport à la mémoire de l’Etat policier qui a subi pendant plusieurs décennies et aux cas d’abus policiers et de torture recensés tous les mois par les organisations des droits de l’homme.

Lisez: Comprendre le débat sur le projet de loi de répression des violences contre les forces armées

“Réprimer les violences” ou “protéger” les forces armées?

Autre point qui n’apparaît pas dans le projet de loi actuel mais qui est pourtant un sujet de discussion fréquent, l’indemnisation de la famille du policier mort en service ou tué lors d’une attaque antiterroriste. Comme l’a mentionné le ministre de l’Intérieur dans son audition le 15 novembre au sein de la commission parlementaire de la législation générale, la loi 50-2013 du 19 décembre 2013 portant réparation des dommages résultant des accidents de travail des agents de la sûreté ne dispose pas de fonds d’indemnisation.

Audition du ministre de l’Intérieur au sein de la commission de législation générale, le 15 novembre 2017 à 14h

Pour Rafik Chelly, le problème a commencé à se poser après la révolution quand des policiers ont été tués dans des attaques terroristes notamment ceux de la garde nationale dans l’affrontement de Sidi Ali Ben Aoun en 2013 avec le groupe Ansar Charia mais aussi avec “les procès de la révolution” où certains policiers se sont trouvés accusés d’avoir réprimé les manifestants.

“A l’époque, beaucoup ont dit qu’ils ne pouvaient plus travailler dans ces conditions-là donc nous avons dû trouver une solution”, Rafik Chelly, Sec. d’Etat chargé des affaires de sécurité 2015-2016.

Pour lui, les syndicats de police créés après la révolution ont permis aux forces de police de revendiquer leurs droits. “Mais étant donné qu’ils ont été créés pendant la troïka, qui était une période très difficile pour la police, ils ont pris une place qui va au-delà de leur rôle, ils sont devenus presque des patrons de la police nationale” déclare Rafik Chelly pour parler de la pression des syndicats. Mais pour lui, les revendications actuelles de la police restent légitimes.

 “Aujourd’hui les discussions sont en cours pour ajuster les textes de lois et permettre à la famille du fonctionnaire défunt de toucher son salaire à titre posthume. Pour l’instant, il y a juste un système d’indemnisation provisoire qui tourne autour de 40 000 dinars mais ce n’est pas suffisant.“ Le projet de loi actuel ne mentionne rien sur cette question.

Instrumentalisation politique

Du côté de la députée Sabrine Goubantini (groupe parlementaire: bloc national, a voté la confiance à la plupart des membres de l’actuel gouvernement) la peur d’une instrumentalisation politique du projet est palpable. “Il y a une surenchère des partis politiques, comme le parti Nidaa Tounes qui fait pression sur l’assemblée et joue la carte de la désinformation. Cela fausse le débat aujourd’hui qui se retrouve réduit à l’équation suivante: “Si vous êtes contre la loi c’est que vous êtes contre les forces de l’ordre” a-t-elle dit en marge des travaux en commission.

“Cela fausse le débat aujourd’hui qui se retrouve réduit à l’équation suivante: “Si vous êtes contre la loi c’est que vous êtes contre les forces de l’ordre” Sabrine Goubantini, députée

Selon elle, le contexte de cette loi remonte aux événements de Siliana où les policiers avaient été interrogés par la justice suite aux tirs de chevrotine sur des manifestants. “Aujourd’hui, on nous ressort ce projet de loi comme si ça allait aider les policiers à lutter contre le terrorisme” assène-t-elle.

Entre nécessité de débattre et risque d’instrumentalisation, la loi de répression des atteintes aux forces armées ne fait pas le consensus. Elle est encore aujourd’hui en cours de discussion à l’assemblée.

Illustration: Série “Rjel” de Sadri Khiari 2016 © Tout reproduction ou réutilisation nécessite l’autorisation explicite de l’auteur

Pour aller plus loin:

Le texte de la loi actuellement discuté à l’assemblée

Projet de loi de protection des forces armées, protection ou immunité? publié le 9 juin 2015 par Inkyfada avec un simulateur des peines encourues

La législation de la sécurité en Tunisie de 1956 à 2011 sur le site du Dcaf

Le code pénal tunisien

La loi antiterroriste

Le code de justice militaire

 

Lilia Blaise

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