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UN in Geneva - Barr al Aman - Mohamed Haddad

Médicament: le juste prix?

Genève (OMS – Nations Unies) – 72nd World Health Assembly – L’assemblée mondiale de la santé a démarré lundi 20 mai. Les grandes lignes de la santé à échelle mondiale sont définies à cette occasion. L’accessibilité des soins a été l’un des thèmes marquants.

C’est un sujet tabou: combien chaque pays achète les médicaments innovants? Il y a autant de réponses que de pays, chacun négociant directement et souvent secrètement avec les big pharmas. Un système qui perdure car « chacun pense payer le meilleur prix » comme l’a mentionné le représentant chypriote durant une réunion en marge de la plénière, qui a fait salle comble. Objectif de cet événement en marge: recueillir le plus grand nombre de signatures pour la résolution sur la transparence des prix des médicaments.

Pourquoi la Tunisie payerait 900+ CHF un flacon de Herceptine (Trastuzumab) alors qu’il ne coûte que 500+ en France? Pourquoi les Etats-Unis payeraient 2000+ $ le traitement contre l’hépatite C alors qu’il ne coûte que 8+ $ en Australie?

Le représentant chypriote constate qu’une île de 800 mille habitants, a « un pouvoir limité de négociation ». Résultat. « Nous payons le traitement de l’Hepatite C de Gilead à 15.000€ alors qu’il coûte quelques centaines d’euros à quelques kilomètres.»

Le rapport de force qui joue en défaveur d’une certaine catégorie de pays basé sur le manque d’information. Peu ou pas assez d’information sur les prix réels pratiqués alors que de nombreux pays les définissent en se comparant à d’autres marchés. Il y a également peu ou pas assez d’informations sur l’impact et le bénéfice tirés des médicaments.

Accès aux médicaments, aux vaccins et aux produits de santé : une approche multidimensionnelle - Mohamed Haddad - Barr al Aman
Accès aux médicaments, aux vaccins et aux produits de santé : une approche multidimensionnelle pour garantir la transparence des marchés et la disponibilité de produits abordables et de qualité afin de parvenir à la couverture sanitaire universelle. Réunion organisée par les délégations de l’Arabie saoudite, de Chypre, de la Colombie, du Costa Rica, de l’Espagne, de la Grèce, de l’Indonésie, de l’Italie, du Mexique, de la Mongolie, des Pays-Bas, du Portugal, de la République de Corée, de la Slovénie, de la Turquie et du Viet Nam.

Qui sont les pays lésés?

Les premiers pays lésés ne sont pas nécessairement les plus pauvres, plus communément appelés: les moins avancés. En effet, ces pays bénéficient de mécanismes d’accès spéciaux garantis par l’organisation mondiale du commerce (OMC). Cependant, ce sont les pays à faible et moyen revenus qui en pâtissent. A l’image de la Tunisie,  de nombreux pays de cette catégorie payent plus chers que les pays riches, selon le communiqué final du Fair Princing Forum organisé par l’OMS en avril 2019.

Cette question est une ligne de fracture Nord/Sud au sein même de la première puissance économique mondiale à savoir l’union européenne. A l’initiative de l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou le Portugal sont signataires d’un projet de résolution qui sera étudié mercredi 22 mai en plénière, aux côtés de la Turquie, l’Afrique du Sud ou la Malaisie. Côté français, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a indiqué la veille de l’assemblée soutenir la résolution sur la transparence. Le jour de l’inauguration, elle s’est s’est prononcée pour la transparence sans s’engager à signer le texte.

Même dans les pays riches, ces lignes de division persistent. Par exemple en Suisse, il n’est pas facile de s’offrir un traitement pour le cancer du sein alors que c’est Roche, une société bâloise, a découvert le médicament innovant. Aux Etats-Unis, la députée démocrate Alexandria Ocasio-Cortez « AOC » a habilement tancé le PDG de Gilead à cause des coûts de traitement pour l’hépatite C. « Je ne vous demanderai pas de démissionner car quelqu’un d’autre prendra votre place. C’est le système qu’il faut changer, » affirme-t-elle. Plus scandaleux selon cette députée, c’est la recherche publique qui a financé la startup à l’origine de la découverte du traitement avant d’avoir été racheté par la firme pharmaceutique.

Les frontières se dessinent non seulement entre pays, mais aussi à l’intérieur des pays entre différentes couches sociales.

Innovation à tout prix?

Crever l’abcès, Dr Giannis Baskozos, secrétaire général du ministère grec de la santé, n’en revient pas lui-même: « Le fait que nous parlions de ce sujet ici est en soit un exploit». La transparence dans la fixation des prix ne signifie pas que tout le monde va payer le même prix explique de son côté un représentant sud-africain. La possibilité d’indexer le prix sur le revenu par personne dans chaque pays a été évoquée, mais l’idée d’un prix différentiel selon plusieurs critères lui est préférée. Les efforts doivent se faire à un niveau mondial et non local, insistent les participants;

« Rétribuer l’innovation, oui, mais pas à n’importe quel prix. » a insisté Bruno Bruins le représentant des Pays-Bas. Plusieurs voix ont insisté sur « la fin » du modèle économique pharmaceutique actuel. Quel est le juste prix d’un médicament? Comment attribuer une valeur à ce qui n’a pas de valeur, à ce qui vaut tout ce que l’on a, une vie une humaine, comme l’a mentionné AOC en brandissant son iPhone. “Cet appareil a de la valeur” mais qu’« une vie n’a rien d’équivalent, car on donnerait tout pour la préserver ». Une vulnérabilité instrumentalisée par les big pharmas selon elle.

Durant cette assemblée mondiale, il a souvent été rappelé que la santé est un “droit humain”. Cependant, cette réalité se heurte à la conception du médicament et des soins comme un service, voire une marchandise. Fixer le “juste prix” d’un médicament revient à déterminer le prix d’une durée de vie supplémentaire. La vie d’un Européen et d’un Africain, d’un riche ou d’un pauvre, d’un homme ou une femme… ont-elles le même prix?

Mohamed HADDAD

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