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La valeur des données de santé dans les registres nationaux : Un moteur de recherche scientifique et d’amélioration de la qualité des soins

La valeur des données de santé dans les registres nationaux : Un moteur de recherche scientifique et d’amélioration de la qualité des soins

En Tunisie, l’absence de registres nationaux établissant le profil épidémiologique de nombreuses maladies limite notre compréhension et entrave l’amélioration des protocoles de soins.

Manel Ben Fdilen, Meriem Ben Tarjem

Plusieurs pathologies fréquemment observées dans les services de soins, telles que les maladies neurologiques et cardiovasculaires aiguës ou chroniques, les maladies systémiques et les maladies héréditaires, continuent de poser des problèmes de diagnostic et d’orientation du patient. Ces pathologies ont fait l’objet de nombreux travaux scientifiques visant à garantir une évolution constante des recommandations pour leur prise en charge.

Malgré les avancées réalisées en matière de prévention, de diagnostic, de traitement et de suivi, ces maladies continuent de représenter un problème de santé publique en raison de leur fréquence élevée, de leur polymorphisme factoriel et clinique, ainsi que de leur impact significatif sur la morbi-mortalité, et les coûts économiques

En Tunisie, l’absence de registres nationaux établissant le profil épidémiologique de nombreuses maladies limite notre compréhension et entrave l’amélioration des protocoles de soins. Pour améliorer cela, il est crucial de mettre à jour en permanence les données, ce qui permettra de développer des lignes directrices pour le diagnostic, le traitement et le suivi, tout en réduisant les charges associées aux soins, contribuant ainsi à une gestion améliorée des maladies et à une utilisation plus efficace des ressources médicales.

Dans ce contexte, il est primordial de souligner l’importance capitale des données de santé dans l’établissement des registres nationaux et leur rôle dans la recherche scientifique et l’amélioration de la qualité des soins. De plus, ces données constituent une ressource inestimable pour élaborer des politiques de santé fondées sur des informations épidémiologiques actualisés.

Les registres nationaux : Une ressource essentielle pour la surveillance et la recherche en santé publique en Tunisie

Les registres nationaux sont définis comme étant « le recueil continu et exhaustif de données nominatives, intéressant un ou plusieurs évènements de santé dans une population géographiquement définie, à des fins de surveillance de recherche et d’évaluation en santé publique, par une équipe ayant les compétences appropriées ».

La définition géographique des registres nationaux englobe plusieurs éléments clés tels que le champ des pathologies, la spécialité médicale, la population définie selon l’âge et le sexe, la nomenclature de codage et l’accessibilité aux données.

Lorsqu’il s’agit de déterminer le champ des pathologies par le registre, on tient compte de la spécialité médicale concernée et des domaines médicaux pertinents pour le recueil de données. Cela garantit que le registre recueille des informations complètes spécifiques au domaine médical concerné.

En définissant la population en termes d’âge et de sexe, le registre fournit des données démographiques précises. Cela permet de mieux comprendre les caractéristiques de la population affectée par les événements de santé enregistrés.

La nomenclature de codage du registre indique le système de classification utilisé pour attribuer des codes spécifiques aux événements de santé enregistrés. Cela facilite la gestion des données, la comparabilité et l’interopérabilité entre différents registres et établissements de santé.

Enfin, l’accessibilité aux données consiste à déterminer les conditions et les objectifs pour lesquels les données enregistrées peuvent être consultées. Trouver le bon équilibre est essentiel pour garantir la confidentialité et la protection des données sensibles. Cela permet également aux personnes et aux organisations autorisées d’utiliser les données dans le cadre de la recherche, du développement de politiques et d’initiatives visant à améliorer les soins de santé.

En Tunisie, les sociétés savantes jouent un rôle essentiel dans la gestion des registres, en établissant les politiques et les stratégies nécessaires à leur mise en place. Ces registres sont créés en vue de répondre de manière efficace aux priorités, aux besoins et aux critères essentiels de prise de décision. Par ailleurs, certains registres relèvent également des stratégies nationales de santé publique, comme c’est le cas des registres régionaux des cancers. Cela met en évidence leur importance capitale dans la lutte contre les principaux défis de santé.

Un exemple concret est le Registre des Cancers Nord Tunisie (RCNT), qui a été créé par un arrêté ministériel. Le service d’épidémiologie, d’informatique médicale et de biostatistique de l’Institut Salah Azaiz a été désigné comme siège du RCNT. Ces registres jouent un rôle essentiel en fournissant une image claire de l’état épidémiologique des cancers en Tunisie. Ils permettent de dresser un état des lieux précis, en identifiant les disparités existantes entre les sexes et les différentes régions du pays en ce qui concerne la prévalence des cancers et l’accès au soin.

De plus, ces registres ont un rôle important dans la détection des changements épidémiologiques, ce qui permet d’orienter les stratégies de sensibilisation, de dépistage individuel ou de masse, ainsi que les efforts de lutte contre le cancer. Ils contribuent également à prendre des décisions éclairées concernant la prise en charge des patients. En outre, ces registres visent à minimiser les charges associées aux soins des cancers, qui sont des pathologies lourdes, tout en favorisant l’innovation dans les traitements, le suivi et la recherche.

Cependant, malgré les avancées réalisées, le profil épidémiologique de nombreuses pathologies insuffisamment couvertes par les registres nationaux de santé demeure méconnu. C’est dans ce contexte que la Société Tunisienne de Cardiologie et de Chirurgie Cardio Vasculaire a initié, pour la première fois en Tunisie, un registre international appelé « The Big 4 CVD Registry » (Afrique et MENA). Ce registre vise à établir le profil épidémiologique, à améliorer la prise en charge et à surveiller l’observance thérapeutique de quatre principales maladies cardiaques: la fibrillation atriale, l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance coronaire et les valvulopathies.

Cette initiative ambitieuse nécessite des ressources financières et des compétences considérables, mais elle promet de contribuer de manière significative à la recherche scientifique en fournissant des données pertinentes. Elle met également en évidence le rôle primordial de la coordination, tant au niveau national qu’international, dans le développement des données de santé pour la recherche scientifique.

L’enjeu des données dans le développement des registres de santé

Afin de garantir une collecte exhaustive des informations nécessaires aux registres, il est essentiel de solliciter différentes sources de données, telles que les archives et les statistiques hospitalières, les cliniques, les cabinets privés, les laboratoires d’analyse et d’anatomo-pathologie publics ou privés, ainsi que les comptes rendus d’autopsies et les certificats de décès. L’utilisation de ces diverses sources permet d’obtenir une vue d’ensemble et détaillée des événements de santé dans la population concernée, renforçant ainsi la précision et la pertinence des registres établis.

Cependant, il est primordial que le personnel chargé de la collecte des données et de la création des registres bénéficie d’une formation adéquate et suive des procédures opérationnelles claires permettant d’assurer au mieux la qualité des données. Répondre à cette exigence nécessite toutefois la mobilisation de ressources humaines et financières considérables.

Dans le but d’établir une gouvernance solide de ces données, une stratégie nationale de développement de la santé numérique (e-santé) est en cours d’élaboration. Cette stratégie englobe différentes initiatives, notamment la numérisation des dossiers médicaux. Cette modernisation du système de gestion des données facilitera la collecte des informations essentielles à l’établissement des registres, tout en réduisant le risque de perte de données.

De plus, il est essentiel de prendre en compte la question de la protection des données lors de l’élaboration des registres. Un cadre juridique précis doit régir les registres, assurant ainsi la confidentialité des informations, un accès sécurisé aux données et encadrant leur utilisation dans d’autres travaux de recherche scientifique. De plus, il est important de contrôler la distribution, la diffusion et le partage de ces données. Certains registres sont soumis à des obligations légales énoncées dans des arrêtés ministériels, avec pour objectif premier le respect de la confidentialité, comme c’est le cas pour le RCNT (Registre des Cancers Nord Tunisie).

Pour assurer la fiabilité des registres, des comités d’évaluation et de certification sont en place pour guider les chercheurs souhaitant utiliser les données. L’Instance Nationale de l’Évaluation et de l’Accréditation en Santé est responsable de l’accréditation de plusieurs registres, garantissant ainsi la conformité et la fiabilité des informations collectées. Cette démarche vise à instaurer la confiance des utilisateurs et à favoriser une utilisation éthique et responsable des données de santé.

Le développement de réseaux nationaux et régionaux, ainsi que la collaboration entre les sociétés savantes, les instituts de santé, le ministère de la Santé et les secteurs public et privé, jouent un rôle clé. D’une part, cela permet d’établir des normes de qualité et de comparabilité pour les registres. D’autre part, cela favorise la collaboration entre les registres et facilite la circulation des données.

Il est donc impératif que les instituts, les organismes de santé et le ministère de la Santé s’engagent à soutenir ces registres et à les accréditer. Leur engagement est essentiel pour assurer le succès et la pérennité de ces initiatives, garantissant ainsi la fiabilité et la valeur des données collectées.

Dans cette optique, il serait bénéfique de procéder à une mise à jour régulière de la couverture nationale des registres de santé en Tunisie, en évaluant l’étendue des pathologies qu’ils couvrent, et de créer un répertoire national répertoriant tous les registres accrédités. Cela permettrait d’orienter les chercheurs vers des sources de données fiables, facilitant ainsi leurs travaux de recherche et leurs analyses.

Par ailleurs, il est essentiel de définir et préciser les données à collecter en fonction des missions spécifiques de chaque registre. Cette approche permet de rationaliser les ressources budgétaires, humaines, le temps et les efforts investis dans le processus de collecte de données. L’interopérabilité entre les différentes bases de données et registres, ainsi que la collaboration entre le secteur public et privé et les acteurs nationaux et internationaux, seraient des facteurs clés pour favoriser la diffusion et la valorisation des données des registres. Cette synergie permettrait une utilisation optimale des ressources disponibles et renforcerait le rôle de la Tunisie en tant qu’acteur majeur dans les travaux de recherche internationaux et la diffusion des résultats scientifiques.

En mettant en œuvre ces mesures, la Tunisie serait en mesure de renforcer sa position en tant qu’acteur clé dans la gouvernance des données de santé, tout en respectant les normes législatives et scientifiques. Elle deviendrait également une référence incontournable dans le domaine de la recherche en santé publique, améliorant ainsi la qualité des soins et prenant des décisions éclairées concernant les stratégies nationales et internationales de santé

فريق بر الامان La rédaction de Barr al Aman

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