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Rupture CNAM-Prestataires de soins privés : une assurance à haut risque

La CNAM est en crise, pourtant ça n’a pas toujours été le cas. La caisse a eu un impact positif sur les patients et les professionnels de la santé notamment avec la prise en charge de soins réalisés dans le privé par de l’assurance maladie d’Etat.

Durant les quatre premières années, le chiffre d’affaire des prestataires des soins privées ont augmenté et les déserts médicaux dans les régions se sont rétrécis comme le décrit le rapport du conseil national de l’assurance maladie publié en 2014. Pourtant, en cet automne 2018, alors que les conventions sectorielles entre la CNAM et les prestataires de soins privés viennent d’être rompues, l’ouverture au privé, n’est plus de mise. L’une des principales missions de la caisse est obsolète.

La Caisse Nationale d’Assurance Maladie n’arrive plus à rembourser les prestataires de soins privés. Les retards de paiement qui se prolongent… passant d’une quinzaine de jours prévus par la loi 1 à une moyenne de 90 jours. C’est la principale cause d’arrêt des conventions sectorielles conclues entre la CNAM. Les médecins, pharmaciens, “kinés”, etc. se sont regroupés en intersyndicale, ces prestataires du privé veulent peser dans le rapport de forces qui les oppose à la CNAM. En plein octobre 2018, ils organisent une rencontre consensuelle, pourtant boudée par tous les invités: CNAM, gouvernement, élus, etc.

 « C’est une relation bâtie sur l’injustice et l’inégalité, pourquoi la CNAM ne paie-t-elle pas d’indemnité de retard suite à ce retard de remboursement ? » Déclare un médecin de libre pratique

La tension est palpable à travers les différentes interventions, les accusations se succèdent, le ton monte, tandis que le forum censé réfléchir l’avenir de l’assurance maladie en Tunisie continue en prenant l’allure d’une Assemblée Générale de l’intersyndicale.  L’absence des représentants de la Kasbah, du ministère de la santé ou des affaires sociales sans oublier les élus et la CNAM est vécue comme un abandon, dont les causes seraient l’insouciance, omettant ainsi les couacs d’organisation. Autre grand absent: l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT).

«  L’UGTT fait partie du conseil administratif de la CNAM. Elle a un rôle crucial à assumer dans l’assurance maladie. L’UGTT a déjà failli à son rôle de défenseur du citoyen, en laissant tomber une affaire de remboursement illégal des prestations hors plafond”, lâche le coordinateur général de l’intersyndicale. Mohamed Ayadi renchérit “La CNAM a reçu en 2016, 130 Millions Dinars de la part des assurés sociaux, illégalement”, dépassant le délai de prescription de deux ans prévu par la loi.

Accords et déséquilibres

Le déséquilibre des rapports remonte en réalité à bien avant cette crise, en 2013, le syndicat des médecins libéraux, constatant que les honoraires prévus par les conventions sectorielles ne risquent pas de changer avant 5 ans, décide de geler partiellement ces conventions et de se baser sur les honoraires fixés par le conseil national de l’ordre des médecins : CNOM.«  Les conventions ont été automatiquement renouvelées en 2012 vu l’instabilité politique et sociale du pays » Explique Mohamed Ayed.Voilà cinq ans que l’assuré paie la différence, une trentaine de dinars qui vient s’ajouter aux dépenses des ménages.

Une  « faille » légale dans les conventions signées en 2006 et renouvelées en 2012 serait à l’origine de cette impasse.

Ces conventions ont précisé la durée des conventions et  omis de préciser les critères de révision des prestations. « On est aujourd’hui légalement devant une situation de faits et non pas devant une situation de droit », précise Sami Frikha, avocat.

La création d’une assurance maladie au début des années cinquante, s’est faite suivant un modèle socialiste, participatif. Voulant garantir à tous les citoyens un meilleur accès aux soins, privés y compris, cette assurance maladie a été réformée plus de cinquante ans plus tard, en 2004. Dix ans après, cette réalité n’est plus la même…

Suite à l’arrêt des conventions sectorielles, combien coûterait la santé sans prise en charge?

Trois consultations en gynécologie (une consultation chez un médecin spécialiste coûte entre 40 et 50 dinars selon les honoraires fixés par le CNOM 3), un simple bilan standard (Numération formule sanguine, glycémie à jeûn, toxoplasmose) ainsi qu’une consultation en pédiatrie, en privé, coûteraient à une maman, le SMIG…

« Ça ne nous met pas uniquement devant le risque d’une augmentation des charges des ménages, mais également devant une possibilité beaucoup plus dangereuse qui est le renoncement aux soins » Explique Ines Ayadi. Les enfants diabétiques arrêteront de prendre leurs insulines, les personnes âgées atteintes de pathologies cardiaques arrêteront de prendre leurs médicaments, les personnes à mobilité réduite arrêteront de se présenter à leurs séances de rééducation motrice : une réalité humainement et socialement effarante, mais qui entrainerait en plus une augmentation des dépenses de santé à long terme.

“Tout être humain a droit à la santé,” lance fièrement l’article 38 de la constitution tunisienne.

Un droit garanti par l’Etat et cela a un coût. Un coût que l’Etat – le gouvernement? – peine à assurer. L’assurance, et plus généralement la protection sociale, en sont les principaux piliers. En ces temps de crise de l’assurance maladie “publique” en Tunisie, il y a pourtant une instance censée assurer le “suivi périodique du régime d’assurance maladie et à l’évaluation de sa situation financière” conseil national d’assurance maladie. Créé en 2005 et sous tutelle des affaires sociales, le conseil devait se réunir deux fois par an5 . Il ne s’est réuni que deux fois pendant 14 ans… 

 

1- Loi N° 2004-71 du 2 Août 2004 instituant un régime d’assurance maladie

2-     Convention sectorielle conclue en décembre 2006 entre la caisse nationale d’assurance maladie et le syndicat tunisien des médecins libéraux

3-     Rapport du conseil national d’assurance maladie à la date du 08 Mai 2014

4-     http://www.ordre-medecins.org.tn/fr/public/honoraires

5-     Décret n° 2005-3031 du 09 Aout 2005, portant organisation du conseil national d’assurance maladie

http://www.cnam.nat.tn/doc/upload/conv_med_dent.pd

Emna Hammami

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