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Dans une Tunisie rongée par la corruption, révélation des méthodes mafieuses contre les lanceurs d’alerte

« Prenez des photos de sa fiancée avec l’autre, montrez-les à la télé! » La méthode rappelle la période sombre de la dictature en Tunisie, quand Ben Ali harcelait ses opposants et les militants des droits de l’Homme. Ce procédé est tristement d’actualité aujourd’hui. Cette fois-ci c’est le tycoon des médias, Nabil Karoui, fondateur de la chaîne de télé privée Nessma qui en fait usage contre l’association iWatch dont le fer de lance est la lutte contre la corruption.

Quatre minutes d’enregistrement sonore fuité et diffusé dans la nuit de dimanche à lundi. On y entend Nabil Karoui appeler les personnes présentes à « diffamer, insulter et traiter de collabos » les membres de l’association iWatch, représentant de Transparency International en Tunisie.

Les hostilités ont commencé en juillet 2016 quand iWatch a publié une enquête dévoilant le système d’évasion fiscale du groupe Nessma, un groupe implanté en Tunisie, au Maroc, Canada, etc. Regrouper les bénéfices dans la société basée au Luxembourg profitant du faible taux d’imposition, et présenter des bilans comptables déficitaires dans les autres sociétés, une méthode classique. Porter plainte contre Nessma? “Nous avons eu du mal à trouver un avocat prêt à affronter Karoui” affirme Mouheb Garoui, cofondateur d’iWatch. Hasard du calendrier ou effet boule de neige, Achref Aouadi, président d’iWatch, sera auditionné ce vendredi par le pôle judiciaire financier comme plaignant.

Instrumentalisation des médias

En 2011 quelques jours avant l’élection de l’assemblée constituante, Nessma diffuse le film Persépolis doublé en arabe dialectal. Une scène où on voit une représentation onirique de Dieu a été considérée comme sacrilège. Le domicile de Karoui est attaqué par des inconnus provoquant l’émoi de la société civile en Tunisie et à l’étranger. Jugés pour “atteinte au sacré”, Karoui et Nessma s’étaient vu attribuer l’étendard de “défenseurs des libertés”. Un étendard perdu depuis, notamment par l’instrumentalisation de la chaîne de télévision à des fins politiques. Ainsi, en 2014, pour les premières élections présidentielles et législatives libres du pays, Karoui parie sur le “tout sauf Ennahda” et fait carrément campagne pour Nida Tounes et Béji Caid Essebsi. Un pari risqué, mais gagnant: il sera récompensé par un poste au bureau politique du parti actuellement au pouvoir et en proie à des querelles sans fin. Il démissionnera en avril 2017.

La diffusion de l’extrait fuité dévoile les méthodes scabreuses de Nessma qui fait fi des règles déontologiques. Par exemple, Nabil Karoui y ordonne les présents de faire “un micro trottoir avec des gens qui disent “Ces associations comme iWatch, sont des enfoirés, des voleurs, des menteurs, des vendus,” Karoui d’ajouter: “S’il le faut, on paie des gens, on leur fait apprendre par coeur ce qu’ils doivent dire.” Même après sa démission, Nabil Karoui a continué à jouer un rôle direct dans ce média. Cette confusion ainsi que plusieurs manquements ont fait l’objet d’un rappel à la loi de la Haica, l’instance de régulation des médias. La chaîne a alors lancé une campagne pour remettre en cause la légitimité de l’institution.

La justice, comme dernier espoir

Il est difficile de dater l’enregistrement ou d’identifier l’origine de la fuite. Cependant, certaines des instructions de Karoui semblent avoir bel et bien été mises en oeuvre. “Les dollars qui vous financent sont ceux-là même qui ont mis la Libye à feu et à sang” assène un des chroniqueurs de la chaîne condamné pour diffamation. Cela fait écho à une déclaration de Karoui: “Ces gens-là sont allés étudier aux Etats-Unis et on ne connaît pas leurs prof. Où ont-ils travaillé? qui leur donne de l’argent? Toutefois, Achref Aouadi en rit “Ni moi, ni Mouheb avons fait nos études aux Etats-Unis.”

Le coût à payer au niveau personnel est lourd. “Quand ma belle-famille a découvert les photos de ma fiancée et moi-même à l’étranger avec une voix off qui met en doute l’honnêteté de nos ressources financières, cela n’a pas été facile.” ajoute Mouheb. “Notre seul espoir c’est la justice.” affirme-t-il. Une justice dont Karoui fait peu de cas, “Ils pourront nous faire un procès et dans cinq ans, ça nous coûtera 700 dinars (310€) si tout va bien. Mouheb réplique: “on ne lâchera pas l’affaire. Ce n’est pas un combat de société civile uniquement mais aussi celui des journalistes et de tous les Tunisiens.”

Pour les lanceurs d’alerte et les associations tunisiennes, cette affaire n’est qu’une étape d’une bataille décisive pour le pays: la lutte contre la corruption et l’impunité mais aussi pour la liberté de la presse. Tel sera le mot d’ordre de la marche prévue jeudi à 10h qui ralliera le Tribunal de première instance de Tunis à la place du gouvernement où se trouve le siège de la primature.

La transcription complète de la vidéo fuitée (en français et en anglais): https://goo.gl/s526It

Nabil Karoui, le siège social de Nessma, ont été contactés mais étaient injoignables ou ne répondaient pas.

Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des relations avec la société civile a déclaré : Il se refuse à commenter les fuites. Cependant, aucune mesure administrative ne sera prise, nous appliquerons les décisions de la Haica et les décisions de justice dès qu’elles nous parviendront. Il ne faut pas confondre Nabil Karoui comme citoyen et Nessma comme personne morale.

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Décret-loi 115

Chapitre V : Des infractions commises par voie de presse ou par tous autres moyens de publication

Section1 : De l’incitation aux infractions

Article50 : Sont punis comme complices dans ce qui peut être qualifié de délit aux sens de l’article 51 et suivants, du présent décret- loi ceux qui incitent directement une ou plusieurs personnes à commettre ce dont il s’agit, de ce qui peut être suivi d’un acte, soit par voie de discours, paroles ou menaces dans les lieux publics, soit au moyen d’imprimés, photos, sculptures, signes ou toute autre forme écrite ou photographique exposée à la vente ou à la vue publique dans les lieux publics ou les réunions publiques, soit au moyen d’affiches et d’annonces exposées à la vue publique ou par tout autre moyen d’information audiovisuelle ou électronique. La tentative est punissable conformément aux dispositions de l’article59 du code pénal.

Article51 : Est puni de l’emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende de mille à cinq mille dinars quiconque incite directement, par l’un des moyens indiqués à l’article 50 du présent décret-loi, à commettre un crime d’homicide, d’atteinte à l’intégrité physique de l’homme, de viol ou de pillage, dans le cas ou l’incitation n’est pas suivie d’effet, nonobstant l’application de l’article32 du code pénal. Toutefois lorsque l’incitation est suivie d’effet le maximum de la peine est porté à cinq ans de prison.

Est puni de la même peine celui qui exalte, en utilisant les mêmes moyens, les infractions mentionnées à l’alinéa premier du présent article, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou la collaboration avec l’ennemi.


(ENGLISH below) N. Karoui fondateur de Nessma appelle à la “diffamation” d’iWatch – Trad FR

TRADUCTION FRANCAISE:
(fin de phrase) … d’une part. D’autre part, il y a autre chose que nous devons préparer et qu’on va passer qu’après la conférence de presse. C’est sur iWatch. Maintenant, nous ferons une bande d’annonce de (تشويه) dénigrement. C’est à dire qu’il faut qu’il y ait des gens, des journalistes à nous qui font de l’enquête ou quelque chose du genre: “(Karoui en train de mimer ce que dirait les journalistes هكّة هكّة ) Ce sont des traîtres à leur pays, des agents de l’étranger/collabos, ils se font de l’argent pour vendre leur pays. compris? avec leurs noms, iWatch, c’est tel et tel et tel, et mettez leurs photos. Ces gens-là sont allés étudier aux Etats-Unis et on ne connait pas leurs prof. Où ont-ils travaillé? qui leur donne de l’argent? “ Maintenant, maintenant, il faut qu’on fasse ça, il faut qu’on fasse un pool solidaire contre iWatch. Il faut aller voir Jamel Arfaoui et lui demander “Que penses-tu d’iWatch?” il te répond. Il faut aller voir 5 ou 6 journalistes (qui diraient) “Ce sont des traîtres, des vendus (بيّوعة), des escros, nous les connaissons et nous avons des dossiers sur eux. Voilà comment ils sont! Compris. Et nous mettons la bande d’annonce où nous écrivons : “des choses dangereuses sur iWatch. des vérités qui seront exposées bientôt, sur Nessma Mobile, heu. sur Nessma.”
Donc maintenant, où en sommes-nous avec eux, qu’est-ce qu’on peut faire. Comment on peut faire, même si on fait un truc bidon en une fois, on fait un quarante cinq minutes avec des insultes, plus qu’autre chose. Insultons-les, diffamons-les, (klaxons). C’est à dire, donnez-moi 3 choses, sur lesquels je pourrai vous créer ce qu’on peut faire, nous l’écrirons. Je serai en voyage et de retour demain ou après demain. Nous resterons ainsi et nous l’apporterons. Compris? Nous ferons une bande d’annonce spéciale de diffamation avec leurs noms. (Nabil Karoui simule le texte d’annonce) Vous avez vu sa fiancée? “Que fait-elle avec celui-ci” Compris? Avec son visage! sa financée, quelle est sa relation avec les traitres et les autres. Le prochain truc avec cette fille, nous l’enverrons à sa famille. Nous enverrons Amine à sa maison. Ou bien toi, “Bonjour mon frère, tu es le père de telle (en référence à la fiancée) ? Vous savez que votre fille est fiancée avec telle personne فلان? C’est un espion et un collabo des américains et il touche de l’argent. Vous êtes satisfait de votre fille?”
Comme ça dans le quartier, et on fait le tour du quartier, (il mime le fait de toquer aux porte) on fait le tour de trois quatre maison, on le massacre, et quand on les massacrera, on amène trois quatre journalistes, tel que Jamel et on dit “qu’est ce qu’ils sont entrain de faire, ils font du chantage avec des cas” . En fait, c’est pas comme une enquête avec beaucoup d’images, on va faire des images bidons avec i watch et tout, mais ce sera surtout sur le plateau et tape sur la structure TAF TAF TAF. On la structure, je vais dire comment. Dans la bande d’annonce, on met des images d’eux, pour les terroriser, avec leurs photos,leurs maisons, on verra comment… et on fera une bande d’annonce avec uniquement de la diffamation. Ils ne pourraient pas me faire chier, ils pourront nous faire un procès et dans cinq ans, ça nous coutera 700 dinars si tout va bien. Des collabo, espions, corrompus, voleurs, escros, ils veulent détruire le pays, travaillent chez des enculés/enfoirés طحانة, des vendus… tout ce lexique..
Après on fait un micro trottoir avec des gens qui disent “Ces associations comme IWatch, enculés/enfoirés, des voleurs, des menteurs, des vendus, TAF TAF” S’il le faut, on paie des gens, on leur fait apprendre ce qu’ils doivent dire pour qu’ils nous disent ça. C’est comme ça qu’on travaille. Puis on fait une introduction “il y a eu des problèmes avec les associations islamistes, ça ça et ça, puis il y a ces enculés/enfoirés, le danger pour le pays, c’est eux” et en avant. Le 12 novembre, on sort
Voix de femme: “Il faut la toucher celle là, s’il le faut trouver son père, il faut le fragiliser. C’est son maillon faible, son talon d’achille c’est son père, elle me l’a dit “je vais avoir des problèmes avec mon père”,
Nabil: Tu l’as vu toi?
Femme: oui
Non, elle veut bien mais bon.. je ne lui fais pas entièrement confiance. Elle parle trop, donc je ne veux pas encore aller la voir. Elle est entrain de voir les gens, elle est partie voir Chafik, mais elle veut vendre. Si on lui met la pression, on va l’affaiblir encore plus
ENGLISH TRANSLATION
We should prepare a press conference focusing on I watch. We should prepare a defamation ad. We bring people, our own journalists who do investigation and all, and we say ‘those are betraying the country, you understand, and they are ‘agents’ who are receiving money to sell their own country, you understand? We mention their names, you understand? I Watch, this person and that one and that one, and we put their pictures, you understand? Those went abroad and studied in the US and we do not know who taught them. And who is giving them money? Now we should do this. Now we should do a “solidarity pool” against Iwatch. You go to Jamel Arfaoui and you ask him ‘what do you think of i watch?” Give me five or six journalists who say ‘traitors, blackmailers, we know them because we have files ’ messages like this you understand? We put all of this in a TV ad and we say ‘Dangerous Facts about I Watch’, Facts that will be broadcasted soon on Nessma Mobile, I mean, on Nessma. So now where have we reached with them? What can we do and what? Even if it’s a fake, we make 45 minutes of defamation, let’s do that. Give me 3 things and we’ll create something, we’ll write it. I have to go on a trip and I’ll come back tomorrow or after tomorrow we do that then we bring them. We do a TV ad with the defamation, with their names, you see his female friend? What is she doing with the other guy? You understand? Her face. His fiancee? What is her relationship with the traitors. Now that girl we should send someone to her house. ‘Hello sir, are you the father of this girl? You know that your daughter is engaged with this person? And he is a traitor and a spy for the US and takes money. Are you ok with your daughter doing that?’ Then we hang out around the neighborhood, we tour some houses, we destroy them, and then we bring 3 or 4 journalists with us like (Jamel Arfaoui) and we say what they are doing they’re blackmailing. And we put pictures, bigger pictures of I watch and all, and we attack them. I’ll tell you what we do. A TV ad with their pictures, let’s terrorize them, pictures of their houses, and we create a defamation ad, and let them press charges, we’ll give them 700 TND, traitors, spies, corrupt, thieves, blackmailers, they want to destroy the country, all of this kind of talk, then you get people from the streets, and you make them say ‘I watch is bad, they’re bastards! Thieves! Liars!’ We make them memorize their lines so they say what we want. And we prepare an introduction about NGOs and especially Islamic organizations and then we say they are the bastards.
On a next episode.
Woman’s voice: we have to affect her, if necessary we should find her father. We should make her fragile. Because her weakness is her father. She told me ‘I’ll have problems with my father.’
Nabil: You saw her?
Woman: Yes.

Mohamed HADDAD

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