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Déclaration de patrimoine: expériences d’élus et de fonctionnaires

Déclaration de patrimoine: expériences d’élus et de fonctionnaires

Avant de débatte le projet de loi gouvernemental, il est intéressant de se pencher sur la mise en oeuvre pratique de la procédure de déclaration de patrimoine telle qu’elle est régie par la loi actuellement en vigueur. Cet article relate les expériences de certains élus et fonctionnaires avec la procédure de déclaration de patrimoine. Il s’agit d’un extrait du rapport que vous pouvez consulter sur le lien: https://www.researchmedia.org/rapport-declaration-patrimoine/

Nous avons mené plusieurs entretiens avec des personnes soumises à la déclaration de patrimoine afin de comparer comment elles ont appris qu’elles étaient soumises, comment elles ont déclaré et ce qui s’est passé après la déclaration ?

Nous avons interrogé le vice-président du parlement Abdelfattah Mourou (Ennahda) en février 2017, Mohamed Salah Ben Aissa (ex-ministre de la justice sous le gouvernement Habib Essid), un haut fonctionnaire au ministère des finances, un contrôleur des impôts travaillant dans le gouvernorat de Tunis, etc. A l’issue de ces entretiens, nous avons remarqué que le processus déclaration de patrimoine n’est pas standardisé. Certains disent n’avoir jamais été informés par leurs assistants ou leurs chefs de cette procédure, d’autres disent qu’ils la connaissaient car ils sont juristes. Au ministère des finances, il y a déjà eu des notes internes appelant les fonctionnaires à déclarer ou renouveler leurs déclarations. Cependant, le seul point commun entre tous les interviewés : ils ne savent pas ce qui advient de leurs déclarations.

En février 2017, soit 3 ans après son élection en tant que député, Abdelfattah Mourou, occupant les fonctions de vice-président de l’ARP, a déclaré qu’il « était au courant qu’il était soumis à la déclaration de patrimoine » mais qu’il ne l’a pas faite car il « s’est laissé allé » et parce que ce n’est pas « obligatoire ». Il ajoute : « Si ça l’était, je me serais obligé à le faire.» Le cabinet de l’Assemblée n’a pas signalé ou rappelé au vice-président son devoir de déclarer selon la constitution de 201411. Par ailleurs, Mourou s’est prononcé contre la publication des déclarations : «il est inconcevable qu’un simple citoyen me surveille, en effet, est-ce que je surveille les biens et propriétés des citoyens ? »

Mohamed Salah Ben Aissa, ministre de la justice de février à octobre 2015, a affirmé qu’il était au courant de l’existence de la loi et qu’il n’a pas attendu d’être avisé par son cabinet ou l’administration au sein du ministère. Rien d’étonnant pour un éminent juriste, doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales. Il a affirmé également qu’il s’est dépêché de déposer une déclaration à la fin de ses fonctions ministérielles.

Un contrôleur des impôts travaillant dans le gouvernorat de Tunis qui a préféré garder son anonymat a affirmé qu’il a effectué sa déclaration suite à une note interne. Il a évoqué le long formulaire avec humour notamment la partie où il a renseigné qu’il n’avait pas « de chevaux, ni toute autre forme de bétail ». Il n’y a eu aucune suite à cette déclaration. Un haut fonctionnaire au sein du ministère des finances a également expliqué que la déclaration qu’il a effectuée n’a eu aucune suite. Selon lui, les informations détenues par les services fiscaux peuvent suffire à atteindre l’objectif de la prévention de l’enrichissement illicite et que la déclaration de patrimoine dans l’état actuel ne permet aucun croisement de données ni contrôle.

Mohamed Slim Ben Youssef

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